Critique du roman Un enfant à ma porte

CHEN, Ying, un enfant à ma porte, Boréal, 2008, 155 pages.
Un roman troublant
Une femme doit-elle obligatoirement devenir mère? Est-ce là sa seule finalité?
Ce roman nous raconte l’histoire d’une femme qui verra son quotidien chamboulé lorsqu’un matin elle trouvera un enfant endormi dans son jardin. Cette femme qui jusque-là croyait ne jamais pouvoir être mère, y verra le moyen de fonder une vraie famille. Ensuite, son regard vis-à-vis elle-même changera ainsi que celui des autres qui l’entourent. Désormais prisonnière de son rôle de mère à plein temps, elle se sentira dépérir, voire vieillir à cause de l’enfant, qui lui suce son énergie.
                                                                « Désormais privée de la besogne de mère,
  je trouve ma vie moins justifiée dans cette maison,
dans cette rue, dans cette ville, dans  ce monde.
Le silence revient, le repos est enfin possible. Tout est
de nouveau en ordre, de nouveau vide. » (p.11)
Née à Shanghai, Ying Chen déménage à Montréal vers la fin de sa vingtaine. Cette auteure représente donc l’écriture migrante. Elle nous présente, avec Un enfant à ma porte, qui selon les critiques n’est pas aussi bon que L’ingratitude, son huitième roman. Elle est la gagnante de nombreux prix, dont les suivants : le prix Québec Paris en 1996 et le prix des lectrices de la revue Elle Québec.
L’auteure nous présente, dans ce roman, plusieurs thématiques, tels que, la maternité, l’amour, la grossesse, la peur, l’inquiétude, le bonheur et la famille. Ces nombreux thèmes sont présents dans l’ensemble du texte et nous aident à comprendre ce que peut représenter le fait de devenir mère, soit un job à temps plein. Ce roman possède sans aucun doute des thèmes universels puisqu’ils se retrouvent en tous lieux. De plus, le tout nous est raconté dans un style simple et accessible à tous.

« Maintenant, je marchais derrière A., en attendant
 l’enfant qui s’arrêtait à tout moment pour jouer avec
 des cailloux. » (p.111)

Cependant, même si le registre de la langue est celui du niveau courant, le vocabulaire choisi est dérangeant et cru. Le pouvoir de ce livre se trouve en effet là, et non dans l’histoire qu’il raconte. Il puise sa force dans ses mots, car ils réussissent à venir nous chercher au plus profond de nous-mêmes. Au fil de notre lecture, nous ne pouvons pas nous empêcher d’être choqués par la vision négative faite sur la maternité ainsi que par certaines réflexions et certains gestes venant de la narratrice. Toutefois, l’auteur semble vouloir atténuer le tout à l’aide de petites réflexions sur l’attachement que la femme éprouve pour l’enfant et le fait qu’elle semble être une femme particulière. Néanmoins, le roman présente davantage une vision négative du rôle de mère.

Un autre aspect non négligeable dans ce roman est l’anonymat des personnages ainsi que le manque d’informations. Nous ne connaissons pas le nom de la narratrice ni celui de son mari surnommé A., ni celui de madame B. Nous ne connaissons pas plus l’endroit où se déroule cette histoire fictionnelle. Il ne présente pas davantage de repères spatio-temporels. Bref, nous ignorons tout, qu’il s’agisse du pays, de l’année, de la ville et de leur nom. Néanmoins, il nous est possible de deviner que cette histoire se déroule sensiblement dans une année non loin de la notre, entre autres, à cause du style de vie de la famille, de leurs activités quotidiennes et même à cause de leurs préoccupations personnelles. La seule chose dont nous pouvons être certains, c’est qu’elle a découvert l’enfant un samedi matin et qu’il est resté avec eux durant trois cent quatre-vingt-neuf jours. Ce roman peut être vu comme un model représentatif du fait qu’un livre peut fonctionner par lui-même sans le monde extérieur. En peu de mots, un livre est un monde en soi.

Bien sûr, nous pourrions voir dans ce roman la représentation de ce qu’est aujourd’hui une famille ordinaire, soit un père presque toujours absent et qui ne profite que des bons moments avec l’enfant et une mère qui se retrouve seule pour tout assumer et gérer. Il y a aussi la représentation de la pression qu’une mère subit face aux gens qui l’entourent, voire l’ensemble de la société. Ce roman pourrait ainsi être perçu comme message ou comme un élément déclencheur qui appel au changement. Finalement, il pourrait aussi illustrer une des célèbres idées de Kant disant que notre liberté s’arrête où commence celle des autres, car cette femme à littéralement enfermé cet enfant. Il contient donc plusieurs questionnements, tels que : où sont les limites de notre liberté individuelle?

 Je trouve ce roman troublant, mais il m’apparaît presque impossible de décrocher de notre  lecture une fois qu’elle est amorcée.