jeudi 24 novembre 2011

Pour vous faire découvrir l'art autochtone

 
History in Two Parts
Nadia Myre
2001-2002
Médium: écorce de bouleau, cèdre, frêne, racine et résine et gomme d’épinette, aluminium
Dimensions: 14' x 4' x 3'
exposition Cont(r)act, Galerie Oboro, Montréal, 18 mai 2002 au 25 juin 2002



 Depuis les années soixante, la culture autochtone vit une véritable renaissance, et ce, même si depuis longtemps on la croyait en voie de disparition[1]. Les artistes et les artisans cherchent à redéfinir et à montrer leur identité propre. Ils désirent, grâce à l’art, montrer leur identité[2]. Cependant, leur culture a subi l’influence des autres cultures avec lesquelles elle est entrée en contact au fil des siècles. Nous verrons comment l’artiste, d’origine algonquienne, Nadia Myre a redéfini les mythes triomphalistes et les dynamiques territoriales à travers son œuvre History in Two Parts.  Dans un premier temps, nous aborderons les deux différentes visions du mythe triomphaliste de la conquête du territoire qu’il est possible de relever dans cette œuvre, soit une dans laquelle les acteurs sont différents et une autre plus sombre nous voyons la conquête du territoire à travers le regard des autochtones et non à travers celui des acteurs. Puis, nous effectuerons l’analyse de l’œuvre en appliquant ces données à son contenu dans le but de comprendre le message de l’artiste.
Dans un premier temps, un document sur le canot d'écorce de bouleau nous révèle que nous pouvons comparer ce dernier à la charrette aux États-Unis, car ils ont tous deux servi à traverser le territoire[3]. Donc, il est un symbole de la traversée de la civilisation autochtone vers l’ouest, voire vers de nouvelles voies. Il est aussi un symbole du courage des premiers pionniers[4]. Il a permis des déplacements vers des territoires inconnus. Ensuite, les « premiers explorateurs, les traiteurs les colons et les missionnaires traversèrent le continent en canot vers l’ouest », tel que nous le révèle un autre texte tiré de la librairie de l’Université McGill[5]. Par conséquent, le canot devient également le « symbole de la navigation, des alliances créées, de la grandeur du pays et de l’expansion territoriale.[6]».
 Nous pouvons affirmer qu’il est à l’origine des alliances, car c’est grâce aux nombreuses voies maritimes que l’économie et la culture du pays se sont développées. Ce qui a simultanément permis le développement du pays. Il a notamment servi au transport des fourrures. Il importe de remarquer que le discours héroïque pour parler de la traversée du territoire est repris différemment par l’artiste, car elle montre clairement que le canot a tout d’abord servi à repousser les limites de l’inconnu pour les peuples amérindiens. Ainsi donc, il s’agit de la traversée du territoire, mais avec des acteurs différents. Nous sommes alors loin de la représentation de Boone aux États-Unis. Les Indiens deviennent des héros de la frontière. Ne peuvent-ils pas eux aussi être comme les Cow-boys[7]? Voilà une des nombreuses questions sur lesquelles l’artiste désire nous faire réfléchir, et ce, car se sont eux les premiers à avoir explorés le continent. De plus, le développement du pays et l’économie ont reposés sur eux. Or, la rencontre entre les deux peuples a certainement créé un choc.

        Outre ce qui a été mentionné plus haut, la confrontation à l’inconnu vécue par les peuples autochtones lors de la conquête créée une deuxième version de celle-ci en plus d’une frontière entre les deux acteurs. De plus, cette rencontre demanda un véritable travail d’adaptation à l’autre. Nous pouvons affirmer que l’artiste nous présente la version de son peuple de l’histoire de la colonisation en Amérique. La colonisation nous est alors présentée du point de vue des peuples autochtones. Dans cette version, nous sommes loin de la version de la conquête habituelle et du mythe triomphaliste de la traversée du territoire, mais bien face à la vision d’un territoire qui fut à de nombreuses reprises sauvagement retiré aux populations autochtones[8]. Dans celle-ci, nous avons pris possession du territoire et nous les avons repoussés et isolés dans des réserves.

Nous pouvons alors avancer l’hypothèse voulant qu’aujourd’hui les autochtones investissent les formes de manifestations artistiques, dans notre cas l’installation, pour s’investir dans le « territoire » artistique[9], tel que l’explique madame Bouchard. Il s’agit d’une prise de territoire, et ce, même si celui-ci n’est pas physique. La revendication artistique, comme le souligne cette dernière dans son étude, est un geste politique qui sert à revendiquer un territoire[10]. On peut dire qu’ils réclament ce qui leur est dû en plus de nous montrer les difficultés d’adaptation qu’ils ont vécues. Comme nous l'avons mentionné antérieurement, ce canot montre le rapport entre les nations et l’adaptation des peuples autochtones à la culture européenne. En d’autres mots, l’artiste cherche à représenter les efforts d’adaptation des peuples autochtones et les effets qui découlent de la colonisation sur ces peuples. Ce canot est une personnification du fait que leur mode de vie a été transformé par un autre mode de vie qui leur fut imposé par les blancs[11]. Cette transformation amena une évolution. Donc, à la lumière de ce qui précède, nous pouvons affirmer que History in Two Parts présente, grâce aux différents matériaux, les « deux réalités difficilement assimilables[12]» à être entrées en contact sur le territoire. En d’autres mots, c’est la rencontre entre deux entités, tel que le mentionne madame Meier[13]. Cette œuvre représente les communautés et l’espace des échanges entre elles. Bref, c’est une représentation d’une partie de l’Histoire. Cette installation montre les deux mondes qui se sont « partagés » le territoire, car il s’agit bien de deux cultures qui se sont opposées et qui étaient séparées par cette frontière qu’était leur culture respective[14]. Mais elle montre aussi les différences entre ces deux cultures[15]. Le canot est le reflet des identités des deux peuples. Par ailleurs, une étude approfondie de l’œuvre est susceptible de nous en apprendre davantage.

                 Nadia Myre est une métisse canadienne-française et algonquienne. Elle a vécu dans la réserve de Kitigan Zibi près de Hull, mais elle habite et travaille maintenant à Montréal[16]. Elle possède un diplôme de l’Emily Carr Institute of Art and Design de Vancouver ainsi qu’une maîtrise en arts visuels de l’Université Concordia[17]. Sa démarche artistique est axée sur une recherche de l’identité autochtone, et ce, à travers « ses relations avec la langue, les personnes et l’environnement qui la constituent[18]. ». À la lumière de ce qui précède, l’analyse du contenu de l’œuvre s’avère plus aisée. Premièrement, l’artiste a certainement créé cette installation de sa propre initiative pour nous rappeler ce qui s’est passé lors de la colonisation. Il s’agit d’un rappel de l’histoire de notre pays, mais surtout un moment marquant de l’histoire de son peuple. Le titre soit, History in Two Parts renvoie au message que véhicule l’œuvre. Il renvoie aux deux peuples qui ont cohabité sur le territoire et qui ont chacun leur propre histoire de la colonisation. Par conséquent, c’est aussi une représentation de l’identité autochtone. La division du canot en deux parties égales peut servir à souligner plusieurs choses. Premièrement, elle peut servir à mettre en évidence l’opposition à la domination des blancs, mais il peut aussi s’agir, tel que mentionné précédemment, de la division du territoire entre les deux nations. Enfin, elle peut servir à mettre en évidence la différence entre les deux cultures. Cette dernière possibilité est probablement la plus plausible. La ligne de partage peut être perçue comme un symbole représentant une division, voire la frontière d’un territoire à un autre[19]. La représentation de deux mondes, deux cultures, deux modes de penser. Nous pouvons aussi faire un lien avec les réserves et les territoires entourant celles-ci. Il s’agit bien d’une forme de partage qui représente des frontières. Ce canot montre également l’évolution qu’ont connue les peuples autochtones.  Nous voyons d’un côté le canot construit selon la tradition et de l’autre, grâce aux matériaux empruntés à la culture occidentale, son évolution. Ceci démontre qu’ils se sont adaptés. Ils sont eux aussi modernes. Toutefois,  l’adaptation provoque également le renouvellement de la culture. Ainsi, transgresser les frontières de l’inconnu peut parfois s’avérer positif. Il faut être ouvert à l’autre. De cette manière, l’artiste nous montre que leur culture n’est pas morte, mais qu’elle s’est transformée, voire adaptée. Elle nous révèle leur contemporanéité. Cette construction hybride montre la transformation de la culture autochtone, voire son évolution. La moitié du canot en bois est en écorce de bouleau comme les fabriquaient autrefois les Algonquins. À l’origine, tel que nous le fait découvrir le texte sur le canot d’écorce de bouleau, « La charpente du canot était faite de cèdre (Thuya). Elle était recouverte de morceaux d’écorce qui étaient cousus ensemble, et de la gomme de résine était appliquée sur les coutures pour rendre le canot étanche. On se servait à la fois des racines et de la sève d’épinette.[20]». Chez les peuples autochtones, le bois montre leur rapport à la terre[21]. Les matériaux utilisés nous démontrent la cohabitation harmonieuse de ces peuples avec la nature. Le choix des matériaux nous dévoile également une importante différence entre ces deux cultures. En effet,  ceux des autochtones sont naturels, ce qui nous montre leur lien avec la nature et la terre sacrée alors que les Européens sont plus matérialistes. De plus, chez les autochtones, les activités qu’ils pratiquent tous les jours sont liées à la culture comme le mentionne monsieur Rivard[22].  Donc, la vie et la culture sont liées. Leur culture comprend aussi les lieux ils vivent, voire le territoire[23]. Le choix du canot n’est donc pas anodin, car ce dernier leur a servi à découvrir le territoire.  Ensuite, les objets symboliques, le canot étant un bon exemple,  montrent aussi la continuité des pratiques, voire des traditions artistiques. Les créations de ce genre sont aussi une manière de témoigner de la survie de leur culture[24]. Une culture qui connait une renaissance depuis les années soixante. C’est également à travers l’art et l’artisanat, celles-ci étant deux pratiques artistiques chez les Autochtones, qu’une culture propre se manifeste. Elles « demeurent des manifestations à connotation ethnographique [25]», tel que le souligne Jean-Claude Leblond. L’art permet de renouer avec ses racines et de se définir. Comme le suggère Yves Sioui-Durand, les outils des Amérindiens et leurs objets, ce qui inclut leurs canots, représentaient leur manière de vivre, leur culture[26].

             Finalement, tout au long de cette analyse, nous avons tenté de démontrer comment l’artiste a redéfini les mythes triomphalistes et les dynamiques territoriales, et ce, en prenant comme exemple l’installation History in Two Parts qui fut également analysée. Il est maintenant clair que le canot est un symbole qui renvoie aux premières explorations en sol canadien[27] ainsi qu’à la colonisation du territoire et que cette œuvre est le reflet de l’évolution de la culture autochtone. C’est aussi le message d’une culture qui nous montre qu’elle est encore bien vivante. Une culture qui connait une importante renaissance depuis plusieurs décennies. Nous avons également pu remarquer que l’art de Nadia Myre lie souvent les pratiques ancestrales et contemporaines[28]. Cependant, il pourrait être intéressant dans un avenir rapproché d'explorer la frontière culturelle entre la réserve et les centres urbains. La réserve étant une zone de partage.


[1] LEBLOND, Jean-Claude (1989), « L’art autochtone aujourd’hui une question de point de vue », Vie des arts, n°137, p.23.
[2] RIVARD, René (1989). « Voir la culture des autres… », Vie des arts, n ° 137, p.27.
[3] ROY ATHERTON, Hon. (1947). « L’homme en canot », Canadian Art, Vol. V, 2, p.57.
[4] ROY ATHERTON, Hon. (1947). « L’homme en canot », Canadian Art, Vol. V, n° 2, p.57.
[5] Université McGill ([s.d.]). En quête d'aventure : La traite des fourrures au Canada et la Compagnie du Nord-Ouest : Le canot d'écorce de bouleau, [En ligne], http://digital.library.mcgill.ca/nwc/french/history/12b.htm. Consulté le 6 novembre 2011.
[6] Université McGill ([s.d.]). En quête d'aventure : La traite des fourrures au Canada et la Compagnie du Nord-Ouest : Le canot d'écorce de bouleau, [En ligne], http://digital.library.mcgill.ca/nwc/french/history/12b.htm. Consulté le 6 novembre 2011.
[7] SIOUI DURAND, Guy(2003). « Jouer à l’indien est une chose, être un amérindien en est une autre », Recherches amérindiennes au Québec, vol.33, nº 3, p.26.
[8] BOUCHARD, Jacqueline (1992). «  Art et pouvoir. Redessine-moi mon histoire et je te dirai qui je suis », Anthropologie et Sociétés, vol. 16, nº 3, p. 149.
[9] BOUCHARD, Jacqueline (1992). «  Art et pouvoir. Redessine-moi mon histoire et je te dirai qui je suis », Anthropologie et Sociétés, vol. 16, n°3, p. 149.
[10] BOUCHARD, Jacqueline (1992). «  Art et pouvoir. Redessine-moi mon histoire et je te dirai qui je suis », Anthropologie et Sociétés, vol. 16, n°3, p. 155.
[11] RIVARD, René (1989). « Voir la culture des autres… », Vie des arts, n°137, p.25.
[12] FRASER, Marie (2004). «  Le mouvement de la mémoire dans l’œuvre de Nadia Myre », Protée, vol.32, n°1, p. 32.
[13] MEIER, Rhonda (2002), « 
[14] ATWOOD, Margaret (1987), Essai sur la littérature canadienne, Montréal : Boréal, p.98.  266 p.
[15]  LEBLOND, Jean-Claude (1989). « Un contexte culturel différent», Vie des arts, n°137, p. 33.
[16] MUSÉE NATIONAL DES BEAUX-ARTS DU QUÉBEC (2010). Femmes artistes du XXe siècle au Québec, Québec : Les publications du Québec, p.246.
[17] MUSÉE NATIONAL DES BEAUX-ARTS DU QUÉBEC (2010). Femmes artistes du XXe siècle au Québec, Québec : Les publications du Québec, p.246.
[18] MUSÉE NATIONAL DES BEAUX-ARTS DU QUÉBEC (2010). Femmes artistes du XXe siècle au Québec, Québec : Les publications du Québec, p.246.
[19] MYRE, Nadia (2007). Texte de l’artiste, [En ligne], http://virtualmuseum.ca/Exhibitions/Science/Francais/myre-texte.html.Consulté le 27 octobre 2011.
[20] Université McGill ([s.d.]). En quête d'aventure : La traite des fourrures au Canada et la Compagnie du Nord-Ouest : Le canot d'écorce de bouleau, [En ligne], http://digital.library.mcgill.ca/nwc/french/history/12b.htm. Consulté le 6 novembre 2011.
[21] CHAREST, Andrée, CHAREST, Paul (1992). « Diana NEMIROFF, Robert HOULE et Charlotte TOWNSEND-GAULT : Terre, esprit, pouvoir.
Les premières nations au Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, Musée des beaux-arts,
1992, 232 p., photos coul. et n/b. », Anthropologie et Sociétés, vol. 16, n°3, p. 130.
[22] RIVARD, René (1989). « Voir la culture des autres… », Vie des arts, n°137, p.25.
[23] RIVARD, René (1989). « Voir la culture des autres… », Vie des arts, n°137, p.25.
[24] TIROLE, Hélène (2002-2003), «  Le bois : de l’utilitaire au sacré », Vies des arts, vol. 47, n°189, p.29.
[25] LEBLOND, Jean-Claude (1989), « L’art autochtone aujourd’hui une question de point de vue », Vie des arts, n°137, p.23.
[26] SIOUI-DURAND, Yves (1989), « Les arts d’interprétation amérindiens : un souffle de regénération et de continuité », Vies des arts, vol.34, n°137, p.44.
[27] Université McGill ([s.d.]). En quête d'aventure : La traite des fourrures au Canada et la Compagnie du Nord-Ouest : Le canot d'écorce de bouleau, [En ligne], http://digital.library.mcgill.ca/nwc/french/history/12b.htm. Consulté le 6 novembre 2011.
[28]ST-JEAN AUBRE, Anne-Marie (2009). Nadia Myre : Landscape of Sorrow and other new work, Montréal : Art Mûr.

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